
Le dernier souffle d’un penseur libre. Le monde intellectuel africain vient de perdre l’une de ses voix les plus profondes et respectées. Le professeur Valentin-Yves Mudimbe s’est éteint ce mardi 22 avril 2025 en Caroline du Nord, aux États-Unis. Philosophe, romancier, linguiste, historien, penseur de la décolonisation des savoirs, il laisse derrière lui une œuvre foisonnante, marquante et toujours actuelle.
Né le 8 décembre 1941 à Likasi, dans l’actuelle province congolaise du Haut-Katanga, en République Démocratique du Congo, Mudimbe fut très tôt destiné à la prêtrise. Son parcours l’a mené des séminaires catholiques au noviciat bénédictin, avant que la philosophie ne devienne le véritable champ de sa quête intellectuelle. En 1970, il obtient un doctorat en philosophie et lettres à l’Université de Louvain. De retour au pays, il s’illustre comme enseignant à l’Université nationale du Zaïre, tout en collaborant activement à diverses revues académiques congolaises et aux éditions du Mont-Noir à Kinshasa.
Comme nombre d’intellectuels zaïrois à la fin des années 1970, Valentin-Yves Mudimbe prend le chemin de l’exil. Celui-ci le conduit d’abord en Afrique, puis en Europe, et enfin aux États-Unis, où il enseignera dans plusieurs institutions prestigieuses, dont Stanford et le Haverford College. C’est toutefois à la Duke University qu’il établit durablement son dernier port d’ancrage académique.
Mudimbe s’impose dans le champ de la pensée postcoloniale par une œuvre exigeante, traversée par des thématiques complexes telles que la phénoménologie, le structuralisme, les récits mythiques africains et les usages politiques de la langue. Son ouvrage majeur, «The Invention of Africa (1988) », désormais traduit en français, constitue un pilier de la critique des savoirs produits sur et pour l’Afrique. Il y interroge la manière dont l’Afrique a été « fabriquée » intellectuellement par les traditions occidentales, et appelle à un renversement radical des paradigmes.
Pour Vincent Sosthène Fouda, témoin de sa trajectoire, Mudimbe fut bien plus qu’un intellectuel : « Y.V.M fut un papa, un ami, un aîné pour beaucoup d’entre nous. Il lègue à cette Afrique lacérée et martyrisée une terre à bêcher dans laquelle son trésor est désormais visible ». Par ces mots, c’est un hommage vibrant qu’il rend à celui qui n’a cessé de sonder les blessures de l’Afrique pour en extraire la dignité et la puissance de réinvention.
Mudimbe quitte ce monde, mais entre dans l’histoire. Son œuvre continuera d’éclairer les chemins critiques d’une Afrique en quête de réappropriation de ses récits, de ses langues, et de ses vérités. Dans le silence de la Caroline du Nord, c’est toute une mémoire intellectuelle qui s’est endormie, mais dont l’écho résonnera encore longtemps sur le continent et bien au-delà.
Gloire Balolage